À l’approche de l’introduction de la Responsabilité Élargie du Producteur (REP) obligatoire pour les textiles dans l’ensemble de l’UE, nous suivons avec grand intérêt le développement de la REP textile en Belgique. Après celle de la France et des Pays-Bas, il est crucial que la Belgique s’inspire des systèmes REP existants afin de garantir que la nouvelle REP pour les textiles soutienne et accélère une véritable transition circulaire.
Pour ce faire, nous appelons les décideurs belges, tant au niveau fédéral que régional, à intégrer 5 piliers clés dans cette nouvelle législation nationale sur la REP :
Des objectifs circulaires juridiquement contraignants
Les systèmes REP n’atteignent leur plein potentiel de leviers de l’économie circulaire que si des objectifs circulaires juridiquement contraignants sont imposés par les législateurs[1]. Les objectifs doivent au minimum inclure la collecte séparée, le réemploi (local), le recyclage et le recyclage en fibre-à-fibre, et être fixés de manière à encourager le dépassement des objectifs, en donnant la priorité aux mesures situées en haut de la hiérarchie des déchets.
Par exemple, il peut arriver que le tri manuel en vue du réemploi soit plus coûteux que le tri pour le recyclage ou le décyclage (plus automatisés). Dès lors, des objectifs en matière de réemploi garantiront que les vêtements collectés ne soient recyclés que s’ils ne sont pas aptes à être réemployés. Des objectifs spécifiques de réemploi local peuvent en outre soutenir des initiatives sociales et créer des emplois locaux. Bien que la réparation doive également être développée dans le cadre de la REP textile, sa mesure est difficile ; nous proposons donc le financement d’initiatives de réparation plutôt que la fixation d’objectifs chiffrés (voir ci-dessous).
Les objectifs devraient être définis comme un minimum légal, au-delà duquel les efforts supplémentaires sont récompensés. Aujourd’hui, la plupart des systèmes REP fixent des objectifs d’une manière qui décourage producteurs et organismes agréés (éco-organismes) de continuer à financer des activités une fois les objectifs atteints – même lorsque des ressources supplémentaires sont disponibles. La Belgique a l’opportunité de changer cette dynamique, par exemple en fixant des objectifs relatifs à la part des déchets qui ne sont pas collectés séparément, ou en introduisant des incitations qui valorisent les efforts allant au-delà du minimum légal.
Les objectifs devraient être définis comme un minimum légal, au-delà duquel les efforts supplémentaires sont récompensés. Aujourd’hui, la plupart des systèmes REP fixent des objectifs d’une manière qui décourage producteurs et organismes agréés (éco-organismes) de continuer à financer des activités une fois les objectifs atteints – même lorsque des ressources supplémentaires sont disponibles.
Reconnaître la diversité des textiles
La législation REP actuelle pour les textiles aux Pays-Bas et en France se concentre principalement sur la mode, alors que les textiles recouvrent une gamme beaucoup plus large de produits. La diversité d’usage (par exemple, linge d’hôtel et d’hôpital, vêtements de travail et de protection versus vêtements de mode), ainsi que les différences de qualité, montrent que la législation REP ne peut aborder les textiles comme un groupe homogène.
Le premier problème apparaît lorsque les producteurs sont redevables de contributions basées uniquement sur le poids (kg) des textiles mis sur le marché. Cette approche favorise involontairement les produits légers, comme les chemises en polyester de fast-fashion, tout en pénalisant les articles plus lourds et de meilleure qualité. Bien que l’éco modulation puisse corriger partiellement ces déséquilibres, la REP textile belge devrait intégrer ces considérations dès le départ[2].
Ensuite, dans l’exemple de la REP néerlandaise, bien qu’il existe une obligation de rapportage pour les textiles professionnels, les objectifs sont les mêmes pour les textiles grand public et les textiles professionnels. Cela crée un décalage entre les obligations légales et la capacité de certains producteurs de textiles professionnels à atteindre ces objectifs. Par exemple, les textiles professionnels sont rarement adaptés au réemploi à cause de la présence de logos ou de normes de sécurité. En même temps, leur meilleure qualité et durabilité offrent davantage d’opportunités de recyclage de haute qualité. La législation belge sur la REP textile doit garantir que les objectifs reflètent la réalité du terrain en intégrant une approche spécifique pour les textiles professionnels en complément de celle pour les textiles grand public.
Gouvernance inclusive
Des problèmes de gouvernance freinent actuellement les efforts d’acteurs clés – comme les entreprises sociales, les communes et les recycleurs – dans la mise en place de systèmes textiles circulaires performants. Actuellement, les conseils d’administration des éco-organismes sont majoritairement composés de représentants d’un petit nombre de grands producteurs, ce qui ne reflète pas suffisamment la diversité des acteurs du secteur textile, et n’assure pas une responsabilité adéquate quant aux performances des éco-organismes.
En plus des exigences minimales définies par la Directive-Cadre sur les Déchets (DCD), nous proposons que la Belgique rende obligatoire l’inclusion d’un large éventail de parties prenantes de la chaîne de valeur du textile, tant dans l’élaboration de la législation nationale (conception de la REP) que dans la gouvernance même du (ou des) éco-organisme(s). La gouvernance inclusive ne doit pas se limiter à la création de comités consultatifs sans pouvoir décisionnel équilibré. Elle doit accorder un véritable droit de vote à une diversité d’acteurs, y compris au sein des conseils d’administration des éco-organismes.
Cette gouvernance doit inclure des représentants des opérateurs de gestion des déchets, des distributeurs, des producteurs, des représentants de consommateurs, ainsi que des acteurs sociaux tels que HERW!N, Groep Maatwerk et RESSOURCES, qui jouent un rôle crucial dans le système actuel depuis des décennies en assurant la collecte séparée et le réemploi des textiles, tout en offrant un emploi enrichissant à de nombreux travailleurs. Une gouvernance inclusive ancrera
it le système textile dans les réalités du marché, tout en atteignant les objectifs de circularité et de gestion des déchets.
Financement progressif
En complément des objectifs de performance, il est essentiel de mobiliser des ressources pour financer la part des initiatives circulaires qui ne sont pas rentables et veiller à ce que la REP ne finance pas uniquement le statu quo (collecte et élimination). Cela pourrait passer par l’obligation pour les éco-organismes d’allouer un pourcentage déterminé de leur chiffre d’affaires à, par exemple, des systèmes de réemploi et de location, au recyclage de haute qualité, à des activités de réparation et de sensibilisation.
Les montants de cotisation sont actuellement liés au principe actuel de couverture des coûts (via la DCD de l’UE). Ce principe interdit aux éco-organismes de percevoir plus que ce qui est nécessaire pour couvrir les coûts du système et les obligations légales. Ainsi, la mise en place d’un fonds dédié à la circularité et à l’innovation[3], qui serait financé par l’allocation d’un pourcentage des cotisations ou du chiffre d’affaires de l’éco-organisme permettrait de financer des infrastructures essentielles et des objectifs sociétaux. Cela permettrait d’aller au-delà de la disposition relative à la couverture des coûts réels et complets, car ces fonds seraient déjà réservés à des solutions innovantes
Nous proposons que les éco-organismes, via ce fonds, investissent au minimum dans : a) des infrastructures de réparation, b) le soutien aux plateformes d’échange de textiles usagés, c) des campagnes de sensibilisation et d’éducation à la consommation durable, d) le soutien à des modes de production alternatifs (production à la demande, de location, utilisation de matériaux et teintures innovants).
Ce fonds pourrait être géré directement par un éco-organisme gouverné de manière inclusive, ou par un organisme neutre représentant divers acteurs de l’économie circulaire.
Garder l’option de plusieurs éco-organismes
La question des éco-organismes multiples doit être abordée sous l’angle de la nécessité. Pour mettre en place un système REP belge performant, ambitieux et transparent, les exigences décrites ci-dessus doivent impérativement y être intégrées. Si celles-ci ne peuvent pas être garanties dans un schéma monopolistique, l’option d’introduire un éco-organisme supplémentaire doit rester ouverte.
Comme l’illustre le cas des Pays-Bas, la concurrence peut stimuler l’ambition et faire évoluer la REP. Toutefois, cela n’est efficace que si la législation empêche une course vers le bas, c’est-à-dire en fixant des objectifs ambitieux et en garantissant des moyens financiers suffisants et équilibrés.
Notes
[1] – Les Pays-Bas ont introduit un calcul des objectifs sur la base des textiles mis sur le marché.
– En France, l’objectif de collecte sélective est basé sur la quantité moyenne (en tonnes) de textiles mis sur le marché au cours des trois dernières années. L’objectif de recyclage est basé sur les quantités (en tonnes) de textiles collectés séparément et triés, mais non réutilisés. L’objectif de réemploi est exprimé en tonnes, tandis que l’objectif de réemploi local est basé sur la quantité totale (en tonnes) de textiles réutilisés.
– Dans la législation européenne récente, le règlement sur les piles impose le calcul du premier taux de collecte en utilisant la quantité de piles collectées en 2023, divisée par la moyenne des ventes des trois années précédentes (2020, 2021, 2022) (comme indiqué à l’annexe XI); ↑
[2] Une nouvelle proposition politique aux Pays-Bas suggère une taxe via un passeport numérique pour les produits d’environ 1 euro par 0,1 kg de textile en plastique fossile.↑
[3] Par exemple, un fonds qui alloue au moins 10 % des redevances REP à des opérations de réemploi (5 %) et de réparation (5 %) afin de rendre ce secteur plus rentable et de créer des emplois locaux. De plus, cette mesure est conforme à la résolution du Parlement européen sur la stratégie textile de l’UE. Le fonds pourrait s’inspirer de l’exemple français, qui cible directement les acteurs de l’économie sociale. ↑
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