La pétrochimie en crise ? Remarques critiques sur le discours du lobby

par Esther Diebels | 3 octobre 2025

Le secteur pétrochimique se fait de plus en plus entendre ces derniers temps. Les dirigeants de BASF, Evonik et Ineos mettent en garde contre une crise majeure. Selon eux, le secteur européen est au bord de l’effondrement, menacé par les coûts élevés de l’énergie, une politique climatique stricte et la concurrence déloyale de la Chine. Le nouveau rapport de Fairfin « Les coûts élevés de la pétrochimie flamande : examen critique d’une industrie fossile » apporte une nuance bienvenue : il n’est pas question d’une crise aiguë.

Les politiciens sont facilement impressionnés par les récits alarmistes de l’industrie. Les recherches de Daniel Kahneman et Amos Tversky montrent que la population (y compris les politiciens) accordent plus d’importance aux pertes qu’aux gains de même ampleur, de manière subjective. Un récit alarmiste sur une industrie en difficulté suscite un sentiment d’urgence et de peur, et peut donc être très efficace, surtout si l’industrie menace de disparaître.

Les décideurs politiques se sont donc rapidement ralliés à la cause d’une industrie sous pression, comme en témoigne clairement la Déclaration d’Anvers.

Dans ce document, le secteur chimique et les décideurs politiques européens plaident notamment en faveur d’un soutien accru des pouvoirs publics, d’un assouplissement des règles et d’une énergie abondante, bon marché et à faible teneur en carbone.

Mais cette image est-elle exacte ? L’étude de Fairfin se penche sur cette question et montre que le discours de l’industrie pétrochimique est avant tout un instrument de lobbying visant à obtenir le soutien des pouvoirs publics et à affaiblir la législation européenne en matière d’environnement, comme le Green Deal. Dans l’article « A Crash Course on the EU’s Deregulation Wave », l’observatoire du lobbying Corporate Europe Observatory montre comment la Déclaration d’Anvers, associée à un fort glissement vers la droite au Parlement européen, a conduit à une vague de déréglementation draconienne en Europe.

Le discours de crise de l’industrie pétrochimique

Les propos du PDG de BASF, qui affirme que l’industrie européenne « est dos au mur », sont alarmants. Evonik et Ineos en rajoutent une couche en mettant en garde contre des pertes d’emplois massives et une crise dont l’industrie chimique ne semble pas pouvoir se sortir. La Déclaration d’Anvers traduit ce cadre en
un texte politique 
: « la transition européenne ne peut être réalisée que si les industries de base et à forte intensité énergétique restent en Europe et continuent d’y investir ».

La nuance apportée par Fairfin

Fairfin doorprikt dit narratief door de cijfers naast de uitspraken te leggen. Ze analyseren de boekhouding van de petrochemische bedrijven in Vlaanderen, en de data over de economische en milieuprestaties van de chemische sector. Daarnaast kijkt Fairfin of deze industrie inderdaad zo essentieel is voor de economische welvaart in Vlaanderen, en hoeveel uitstoot en energieverbruik tegenover de gecreëerde welvaart staan.

Le rapport montre que, malgré les années turbulentes que le secteur a traversées, notamment en raison de la pandémie du coronavirus et de la crise énergétique, il reste structurellement rentable. Le ralentissement dans lequel se trouve actuellement l’industrie chimique s’explique principalement par le choc de la demande provoqué par le coronavirus. Des entreprises telles que BASF et Ineos ont continué à réaliser des bénéfices considérables ces dernières années et sont financièrement saines. Le secteur est donc loin d’être en faillite collective.

Fairfin montre également que le secteur émet près de quatre fois plus de CO2 par euro de valeur ajoutée que les autres secteurs couverts par le SEQE. Le secteur est également très énergivore, puisqu’il représente 62 % de la consommation finale d’énergie industrielle en Belgique. De plus, la pétrochimie bénéficie d’aides sous forme de réduction de la taxe sur l’énergie, de compensation pour la hausse des coûts énergétiques et d’une utilisation non taxée des huiles minérales (c’est-à-dire des matières premières fossiles) dans le processus de production.

Alors que des pays comme la Chine et les États-Unis continuent de croître fortement. Ensemble, ils représentent plus de 50 % de la production mondiale de plastique. La part de la production européenne dans ce domaine est également en baisse depuis des années. En conséquence, l’industrie pétrochimique européenne est moins dominante qu’auparavant. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’il s’agisse d’une crise.

Défis structurels

Cela n’empêche pas que la pétrochimie soit confrontée à des défis structurels. Le secteur est particulièrement énergivore et fortement dépendant des combustibles fossiles, non seulement comme source d’énergie, mais aussi comme matière première pour les plastiques et les produits chimiques de base. Même avec un processus de production plus durable, le Projet One d’Ineos reste dépendant des importations de matières premières fossiles. L’autonomie stratégique ne peut donc pas être réalisée en misant uniquement sur un processus de production plus propre. La vérité est que nous devons œuvrer à l’élimination définitive des matières premières fossiles, ce qui implique également un recul de la pétrochimie qui en dépend.

Production plastique contre recyclage

Un autre point fort du rapport Fairfin est l’analyse de la relation entre la production et le recyclage du plastique. Alors que les gouvernements formulent des ambitions circulaires, l’industrie pétrochimique continue de miser massivement sur la production de plastiques vierges. Ceux-ci restant bon marché, le recyclage a du mal à être compétitif sur le plan économique.

La production de plastique diminue en Europe parce que les concurrents internationaux peuvent produire à moindre coût. La Chine et les États-Unis produisent à bas prix grâce aux aides publiques et aux prix relativement bas des combustibles et des matières premières. Plastics Europe Nederland qualifie cette baisse de la capacité de production de « menace sérieuse pour la transition de l’industrie vers le plastique circulaire ». En réalité, cette affirmation sous-entend qu’il faudrait maintenir les entreprises polluantes afin de pouvoir contrôler plus tard leur durabilité. Mais l’Europe peut justement, grâce à une politique normative en matière de produits et à des taxes sur le plastique fossile, orienter très efficacement la durabilité. Pour améliorer la durabilité de l’industrie, on ne peut pas soutenir l’industrie fossile.

Des arbres en plastique

L’industrie pétrochimique tente de se positionner comme indispensable. Elle se présente ainsi comme un secteur dont
dépend
l’économie belge. Fairfin appelle cela « l’arbre de l’industrie », une métaphore qui souligne que tous les autres secteurs seraient dépendants de ses produits. Cette image est en contradiction totale avec la réalité : en maintenant la production de plastique vierge bon marché, l’industrie pétrochimique entrave le développement d’alternatives durables. La prévention, le recyclage et l’innovation circulaire devraient en réalité bénéficier de l’attention actuellement accordée à la pétrochimie.

Conclusion

La question centrale est la suivante : quelle industrie la Belgique et l’Europe souhaitent-elles préserver ? Continuons-nous à miser sur un secteur fossile structurellement polluant, ou nous tournons-nous vers des alternatives circulaires et durables ?

L’idée d’une crise de la pétrochimie s’avère exagéré et stratégiquement biaisé. Fairfin montre que le secteur n’est pas en situation d’urgence, mais qu’il s’agit bien d’une industrie structurellement polluante et dépendante des énergies fossiles qui souhaite obtenir des aides. Les décideurs politiques feraient mieux de considérer cet appel à l’aide pour ce qu’il est : le cadre d’un secteur qui perd de sa pertinence.

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