Au cours des deux dernières décennies, la Belgique a tenté, en vain, de résoudre le problème des déchets sauvages, à coups de millions investis dans des clean-ups, campagnes de sensibilisation et l’application de la loi (caméras, amendes). Le gouvernement flamand s’est fixé pour objectif de réduire les déchets sauvages de 20 % d’ici 2022, par rapport à 2015. En 2021, il y avait encore 18 171 tonnes de déchets sauvages en Flandre, soit plus de 1 831 tonnes de trop par rapport à l’objectif fixé. Par conséquent, le vendredi 23 décembre, la ministre flamande de l’Environnement, Zuhal Demir, a annoncé qu’un système de consigne sera effectivement mis en place en 2025 pour toutes les bouteilles en plastique et canettes. Elle a donné à l’industrie la possibilité de lancer des pilotes pour évaluer, courant 2023 la “Consigne numérique”. Si l’évaluation de ces pilotes n’est pas positive, tant en termes de faisabilité que d’efficacité et de désirabilité, un système classique sera mis en place. La région wallonne se penche également sur la consigne, à travers une étude dont les conclusions préliminaires sont attendues pour début juillet 2023.
Les systèmes de consigne, avec retour en point de vente (ci-après “Return-to-Retail”, RTR), sont largement répandus en Europe du Nord (Visuel 1). Ils ont prouvé leur efficacité en réduisant les déchets sauvages et en augmentant les taux de retour de matériaux de haute qualité. Grâce aux nombreux exemples de pays voisins, il y a suffisamment de modèles pour une mise en place effective de ce type de consigne en 2025.
En revanche, la proposition belge de “consigne numérique”, qui consiste à scanner deux codes 2D (e.g. QR-code ou data matrix) avant de jeter l’emballage dans le sac bleu ou dans des “poubelles publiques bleues”, doit encore prouver qu’elle pourrait être mise en place en 2025, voire qu’elle pourrait l’être un jour. Avec cette analyse, nous présentons les concepts de consigne de retour en point de vente (Consigne classique) et la proposition de consigne numérique. Elle évalue également les avantages et les inconvénients ainsi que l’opérationnalité de la consigne numérique dans le contexte belge.
1) Présentation des systèmes de ‘Consigne Return-to-Retail’ et ‘Consigne numérique’
Dans cette section, nous présentons la consigne classique et la proposition belge de consigne numérique et comparons leurs coûts respectifs, leurs plannings de mise en place et leur efficacité sur la réduction des déchets sauvages, l’augmentation des taux de captation de matériaux de haute qualité, ainsi que leurs potentiels pour le réemploi.
Description des systèmes
D’une manière générale, un système de consigne ‘classique’ est un système dans lequel les consommateurs paient une caution au moment de l’achat – “la consigne” – pour chaque emballage de boisson. Ils peuvent récupérer cette consigne intégralement en rapportant leur emballage vide à un point de collecte. L’emballage peut ainsi être recyclé ou réutilisé. En Europe, les points de collecte sont le plus souvent des points de vente (supermarchés, kiosques, stations-service…), d’où l’appellation de consigne “Return-to-retail” (RTR). 16 pays en Europe ont mis en place ou voté la mise en place d’une telle consigne.. L’introduction d’un système de consigne similaire est également discutée dans 10 autres régions (Visuel 1). La Belgique a d’ailleurs déjà un tel système pour certaines bouteilles en verre réutilisables. La consigne numérique (également appelée “système de QR-code” ou “système de scan”) est une proposition alternative à la consigne classique. L’emballage de boisson est doté d’un code unique 2D et sérialisé (Data matrix ou QR-code), qui est activé (c’est-à-dire qu’il reçoit sa valeur de consigne) au moment de l’achat. Comme c’est le cas de la consigne Return-to-Retail, une consigne est payée à l’achat par le consommateur. Différentes propositions de consigne numérique ont été explorées[1] (voir ResourceFutures, 2022). Nous analysons ici le scénario proposé dans l’étude PwC (visuel 2).
Alors qu’avec le système classique, les consommateurs récupèrent leur consigne en rapportant les emballages à un point de collecte dédié (en majorité un point de vente), dans le cas de la consigne numérique, les consommateurs devraient scanner le code unique de chaque emballage avec leur smartphone ou un ‘home-scanner’ et jeter “correctement” l’emballage dans la poubelle bleue (à la maison ou sur l’espace public).
Une autre différence réside dans le fait que les consommateurs jetteraient donc leur emballage dans le “sac bleu” existant (collecte PMC) ou dans de nouvelles poubelles publiques “bleues”, environ 136 000 nouvelles poubelles ajoutées en plus des poubelles publiques existantes. À noter que le sac bleu et ces nouvelles poubelles porteraient également un code 2D à scanner, selon le scénario présenté dans l’étude PwC (figure 2).
Dans l’étude PwC, le scénario choisi mentionne également des poubelles “intelligentes”, mais celles-ci ne sont que marginalement utilisés : seulement 138 de ces poubelles sont prévus pour l’ensemble de la Belgique, dont 137 en Flandre et une seule en Wallonie, contre plus de 136 000 “poubelles publiques” traditionnels de couleur bleue. Cela confirme que les emballages consignés seront donc collectés avec les emballages non consignés, alors qu’avec le système de consigne classique, ils sont collectés séparément. PwC mentionne d’ailleurs une “contamination potentielle des flux de déchets” avec les poubelles bleues publiques (diapo 27).
Ces différences entraîneront nécessairement des résultats différents en termes de coûts, de planning de mise en place et d’efficacité. Nous les détaillons ci-dessous.
Coûts et économies
Coûts : Tout d’abord, il est important d’examiner les coûts des deux systèmes, car la viabilité économique du système est essentielle à la mesure de son succès.
Plusieurs études ont conclu que la consigne classique peut être mise en place de manière rentable[2] pour les entreprises, et sans coûts supplémentaires pour les acteurs publics, étant donné la responsabilité prise par les producteurs Une étude réalisée par OVAM en 2015 a estimé le coût annuel total d’une consigne classique sur les canettes et les bouteilles à 77 millions d’euros, contre des recettes de 82 millions d’euros. Ici, les recettes estimées sont donc supérieures aux coûts. De même, l’étude Coûts et effets de CE Delft (2017), commandée par le gouvernement néerlandais, suggère des bénéfices potentiels supérieurs aux coûts pour une consigne classique. Lorsque l’on examine les systèmes qui sont opérationnels depuis un certain temps, il est clair qu’ils fonctionnent bien et sont largement acceptés par les différents acteurs. Les propriétaires de magasins sont indemnisés au moyen de frais de manutention (“handling fee”). De plus, le système peut générer un trafic de consommateurs supplémentaire vers les magasins, lorsqu’ils viennent récupérer leur consigne. Reloop fournit une vue d’ensemble claire du fonctionnement pratique des systèmes de consigne dans le monde. Cela fournit de nombreuses informations sur la manière dont ces systèmes fonctionnent en termes d’organisation et de flux financiers.
Pour la consigne numérique, il n’y a pas encore assez d’informations[3] pour confirmer que ce système pourrait également être mis en place de manière rentable. Sur la base de l’étude de PwC, l’industrie belge de l’emballage affirme que sa mise en place serait moins coûteuse qu’une consigne classique. À noter que l’étude de PwC fournit très peu d’informations sur les données servant aux calculs, tant pour le système digital que pour la consigne traditionnelle, ce qui rend impossible une vérification approfondie de chiffres avancés. Les conclusions de leur analyse coûts-bénéfices doivent être justifiées plus en détail. Ci-dessous, nous vérifions si des coûts ou revenus ont été omis ou si des erreurs de calcul ont été commises, lorsque suffisamment d’informations sont fournies. Bien que cela ne soit possible que pour quelques chiffres, il est déjà apparent que plusieurs éléments de la partie financière (diapos 56-90) semblent douteux. Entre autres (Visuel 3, diapo 66) :
- Coûts Traflux – Pillar poubelles publiques bleues (diapo 66) : Le coût d’investissement utilisé dans le scénario choisi pour la consigne digitale ne correspond pas à l’étude de marché réalisée par PwC (Visuel 4, slide 28). Les coûts d’investissement et de placement par poubelle Traflux variaient en effet de 1 250 à 1 450€ selon ce benchmark, mais PwC a utilisé un coût de référence de 750€ par poubelle. En corrigeant les coûts d’investissement (en utilisant le coût le plus bas de 1 250 €), on obtient une sous-estimation de 68 133 500 € ; en tenant compte de cette sous-estimation, on obtient un coût d’investissement pour ces poubelles de 186 619 990,69 € pour la consigne numérique (contre une estimation de 118 486 490,69 € dans l’étude PwC). Ces coûts sont donc supérieurs aux coûts d’investissement de la consigne classique (154 864 500 €), voir diapo 68.
- Coût des home scanners. Dans le scénario de consigne numérique évalué par PwC, le coût des home scanners serait de 15 260 712,69 €, correspondant à 554 935 scanners (27,5 €/scanner). Le nombre de home scanners nécessaires pour tous les ménages belges serait de 5 024 851 (138 183 402,5/27,5 – diapo 66). Ainsi, dans le scénario évalué, seulement 11% des ménages disposent d’un scanner à domicile. Cette couverture semble faible étant donné le choix potentiel des utilisateurs de ne pas utiliser une application sur smartphone, la fracture numérique, les personnes handicapées, le besoin de home scanners pour les familles avec enfants (afin qu’ils puissent également participer au système…). Il est possible que certains ménages belges souhaitent un home scanner, même s’ils possèdent l’application sur leur téléphone.
D’ailleurs, il n’est pas certain que les home scanners puissent résoudre le problème de fracture numérique. 11% de couverture de home scanners semble donc être une autre sous-estimation des coûts. - À noter que les coûts opérationnels de l’étude PwC ne sont pas suffisamment détaillés, empêchant tout commentaire détaillé, si ce n’est soulever quelques interrogations posées par les chiffres présentés, telles que (diapo 70) :
- Le transfert du coût de pré-tri vers les coûts de post-tri en 2027 qui semble avoir été oublié. En 2027, les coûts annuels de pré-tri (calculés pour les “poubelles publics classiques”) disparaissent tout simplement (plus de 337 000€) alors que cette même année le coût du post-tri (Défini slide 63 comme “Coût du tri des fractions PMC, basé sur la simulation des déchets REP. Appliqué aux volumes collectés par les poubelles publiques (transition) et les poubelles bleues publiques“. n’augmente que d’environ 53 000 €.
Comment expliquer cette disparition des coûts ? - Quel est le détail des coûts de maintenance / informatique ?
- Pourquoi n’est-il pas fait mention des coûts opérationnels du nettoyage des espaces publics ? Cela devrait être pris en compte étant donné que les producteurs sont responsables de ces coûts depuis 2023.
- Le transfert du coût de pré-tri vers les coûts de post-tri en 2027 qui semble avoir été oublié. En 2027, les coûts annuels de pré-tri (calculés pour les “poubelles publics classiques”) disparaissent tout simplement (plus de 337 000€) alors que cette même année le coût du post-tri (Défini slide 63 comme “Coût du tri des fractions PMC, basé sur la simulation des déchets REP. Appliqué aux volumes collectés par les poubelles publiques (transition) et les poubelles bleues publiques“. n’augmente que d’environ 53 000 €.
Les avantages et économies doivent également être nuancés. L’étude de PwC part du principe que les revenus des deux systèmes sont égaux et proviennent a) des économies réalisées sur les déchets sauvages, b) des consigne non remboursées (c’est-à-dire les revenus de tous les emballages non retournés) et c) des revenus du recyclage (voir tableau 1). Ces chiffres sont basés sur un taux de collecte supposé de 90%. Cependant, dans la pratique, la capacité à atteindre un certain taux de retour est liée au niveau de confort et d’accessibilité pour les consommateurs. Il n’est pas certain que la consigne numérique puisse atteindre un niveau similaire à celui de la consigne classique et, sans preuve que cela est possible, de telles suppositions ne sont pas justifiées et ne devraient donc pas être faites.
De plus, avec à taux de collecte équivalents, les revenus du recyclage (c) seraient probablement plus faibles pour la consigne numérique, étant donné que le matériel (PET, aluminium) a plus de valeur lorsqu’il est collecté séparément des autres emballages et substances, évitant ainsi la contamination, ce qui facilite son utilisation pour de nouvelles bouteilles et canettes. PwC met d’ailleurs en avant ce risque de contamination (diapo 27) sans pour autant en tenir compte dans son analyse des coûts. Une consigne classique entraînera probablement des dizaines de millions d’euros de recettes de recyclage supplémentaires par rapport à une consigne numérique.
Planning de mise en place
Un autre facteur déterminant dans le choix d’un système de consigne est la rapidité avec laquelle il est prêt à être mis en place. La consigne classique nécessite un délai de mise en œuvre de 12 à 18 mois[4] après la décision politique. Ainsi, une consigne classique en Belgique pourrait être prête pour 2025, à condition que la feuille de route pour cette consigne soit élaborée en 2023. Elle pourra alors démarrer conformément au planning annoncé par le ministre flamand de l’environnement, Zuhal Demir.
Il n’y a aucune indication du temps nécessaire à la mise en œuvre d’une consigne numérique, étant donné qu’il n’a été introduit nulle part. En raison des recherches nécessaires, du manque de compréhension de la manière de mettre en place le système avec les autres parties prenantes et des développements technologiques qui doivent encore être réalisés et mis en œuvre, il n’est même pas certain que la consigne numérique soit prête à être introduite sur le marché à un moment donné.
L’industrie belge de l’emballage a jusqu’à la fin de 2023 pour prouver non seulement la faisabilité technique de ce système, mais aussi si le système peut effectivement atteindre les objectifs fixés et être accessible à tous sans exception. Les projets pilotes sont considérés comme un élément crucial pour prouver la possibilité d’une telle mise en place. Néanmoins, jusqu’à présent, les projets pilotes lancés par l’industrie de l’emballage en Belgique pour réduire les déchets sauvages n’ont pas été efficaces et ont mis des années à être testés, ce qui a déjà causé beaucoup de retards dans le processus de décision. C’est par exemple le cas de la Prime de Retour en Wallonie et du système de récompense en cours du Click. La ville d’Anvers a d’ailleurs récemment cessé d’utiliser le Click, en raison de ses coûts élevés et de l’absence de réduction des déchets sauvages.
S’agissant de projets pilotes sur la consigne numérique, il n’y a eu que des projets pilotes à petite échelle (à Dublin et à Conwy[5]) : quelques centaines de foyers sur moins d’un mois. Ils n’étaient en aucun cas représentatifs du fonctionnement d’un système à l’échelle d’un pays entier et à long terme. Les projets pilotes ont tendance à prendre beaucoup de temps et compte tenu de tous les éléments qui restent à prouver en termes de faisabilité, d’accessibilité et d’efficacité de la consigne numérique, il est réaliste de penser qu’à ce stade, ils ne pourront apporter, au mieux, qu’une partie des réponses nécessaires au choix du système à mettre en place en 2025. Toutes les recherches menées jusqu’à présent soulignent le faible niveau de disponibilité au marché pour la consigne numérique (voir ResourceFutures, 2022) et le long délai nécessaire pour adapter la production (étude PwC, diapo 12).
Et il n’est bien sûr pas une option que l’industrie tente de retarder davantage l’introduction d’un système en Belgique. Comme l’a déclaré la ministre Zuhal Demir devant l’assemblée plénière du Parlement flamand le mercredi 18 janvier, “l’essentiel est que la consigne sera introduite en 2025” et que “si les projets pilotes ne donnent pas de résultats, alors ce sera le système classique”.
Les projets pilotes seront évalués par l’OVAM (l’agence publique flamande des déchets), en collaboration avec un comité de suivi, le “klankbordgroep”, composé de parties prenantes de la société, telles que des représentants d’organisations de consommateurs, de commerçants et d’ONG environnementales.
Efficacité du système
Il n’est pas suffisant de voir si la consigne numérique peut être mise en place dans les délais impartis. Il est également essentiel de s’assurer qu’elle atteindrait de manière effective les objectifs qu’un système de consigne est censé atteindre. C’est-à-dire : réduire les déchets sauvages, augmenter la collecte constante de matériaux de haute qualité et favoriser la transition vers des systèmes de réemploi. En général, l’étude de PwC n’aborde pas l’efficacité du système sur ces éléments, mais suppose simplement que l’impact serait similaire à celui d’une consigne classique, bien que sa configuration soit complètement différente. En outre, l’étude de PwC ne mentionne pas du tout le potentiel de réemploi, alors que le nouveau règlement européen sur les emballages et les déchets d’emballages vise à stimuler le réemploi des emballages – y compris de boissons.
Impact sur les déchets sauvages
Une étude de CE Delft[6], commandée par le gouvernement néerlandais, a examiné les exemples internationaux des impacts de la consigne classique et a estimé que la consigne classique pouvait réduire la part des petites bouteilles en plastique et les canettes parmi les déchets sauvages entre 70 et 90 %.
Un an seulement après le lancement de la consigne sur les petites bouteilles en plastique, le Zwerfinator Dirk Groot a enregistré une réduction de 76 % de ces emballages par kilomètre (visuel 5[7]). Il faut noter qu’il y avait alors encore de vieilles bouteilles en plastique non consignées dans les détritus, une importation illégale de bouteilles en plastique non consignées, et que les bouteilles en plastique contenant des jus ou des produits laitiers sont exemptées de l’obligation de consigne.
Si l’on tient compte de ces facteurs, l’effet réel de la consigne est une réduction de 85 % des petites bouteilles en plastique dans les déchets sauvages. Le Rijkswaterstaat a estimé une réduction de 53 % des petites bouteilles en plastique parmi les déchets sauvages par rapport à 2020. L’effet de la consigne est également confirmé par un contrôle effectué au Danemark, indiquant que les canettes consignées ont 90 % de chances de moins de se retrouver dans l’environnement que les canettes non consignées.
Entre-temps, aucune étude ni aucun suivi n’ont montré l’impact de la consigne numérique sur les déchets sauvages. Même si l’on peut s’attendre à ce que son impact soit meilleur que celui de l’absence totale de système, on ne peut pas supposer qu’il serait le même que celui de la consigne classique, comme le fait l’étude PwC (voir tableau 1). L’impact de la consigne numérique, comme de tout système est intrinsèquement lié à la participation des consommateurs et donc à l’accessibilité du système pour eux[8], ce qui soulève de nombreuses questions et incertitudes (voir la section suivante).
Impact sur les taux de retour de matériaux de haute qualité
De plus, avec la consigne classique, les déchets collectés sont de très haute qualité, car l’emballage est totalement isolé des autres matériaux (non alimentaires) qui pourraient contaminer le flux de déchets. Cela permet un recyclage facile de bouteille-à-bouteille et de canette-à-canette, ce qui est important pour réduire l’impact CO2 de ces emballages.
Avec une consigne numérique, il reste à voir quels taux de collecte sélective pourraient être atteints et si l’objectif de l’UE de 90 % serait à portée de main. En effet, avec ce système, les emballages consignés seraient toujours collectés avec des emballages non consignés, que ce soit dans le sac bleu ou dans les “bacs bleus publics”, ce qui entraînerait des risques de contamination. Actuellement, aucune bouteille ou canette recyclée n’est fabriquée à partir de matériaux provenant uniquement d’un système PMC comme le sac bleu. Pour le plastique, cela est dû à des exigences de sécurité (EFSA, 2012), pour les canettes à des problèmes de faisabilité technique. Pour le moment, il n’est donc pas possible de fabriquer des bouteilles et des canettes à partir de matériaux recyclés 100% belges collectés avec le sac bleu ou les poubelles publiques. La consigne numérique ne changerait rien à cela, car l’emballage resterait dans les mêmes flux. Il s’agit d’un élément clé dans la transition vers une économie véritablement circulaire et plus locale, vers laquelle Fost Plus indique vouloir se diriger.
Chemin vers le réemploi
Un recyclage de plus grande qualité est évidemment une étape vers une économie plus circulaire. Cependant, la Belgique, à l’instar de tous les autres pays, doit opérer un changement vers plus d’emballages réutilisables. Collecter les emballages dans le sac bleu ou, plus encore, dans des “poubelles bleues publiques”, favorise une économie basée sur le recyclage (de moindre qualité), plutôt que sur le réemploi. Dans le système actuel, les emballages de boissons sont mélangés à d’autres déchets (non alimentaires), ce qui rend la transition vers la réutilisation beaucoup plus complexe car l’emballage risque d’être endommagé ou déformé. Le nouveau règlement sur les emballages et les déchets d’emballages proposé par la Commission européenne le 30 novembre 2022 indique clairement qu’une transition vers des emballages réutilisables est attendue de tous les États membres d’ici 2030. Les systèmes de consigne classique permettent facilement de mettre en place des systèmes de réutilisation des emballages de boissons. C’est d’ailleurs déjà le cas en Belgique pour les bouteilles de bière en verre. Le système pourrait facilement être étendu aux bouteilles en plastique et aux canettes. C’est aussi le cas pour certaines bouteilles en plastique en Allemagne (“Mehrweg”).
Le système de consigne qui sera mis en place en Belgique doit permettre la transition vers la réutilisation. Les systèmes basés sur la collecte sélective ne sont actuellement pas adaptés aux emballages réutilisables et l’ajout de codes uniques aux bouteilles en plastique et aux canettes n’y changera rien.
2) Évaluer la consigne numérique : les questions que soulève le système
Pour évaluer si la consigne numérique pourrait être une alternative appropriée à la consigne avec retour en point de vente, nous devons établir si elle pourrait atteindre les mêmes – ou de meilleurs – résultats pour des coûts équivalents – ou inférieurs. Toutefois, de nombreuses questions sur ce système alternatif restent sans réponse et doivent être prises en compte lors de la comparaison des deux systèmes.
Accessibilité pour les consommateurs
L’accessibilité du système pour les consommateurs est essentielle pour assurer une participation élevée au système de consigne.
Dans une vidéo publiée par Fost Plus, il est dit que le système de consigne numérique serait plus pratique pour les consommateurs car il leur permet de se débarrasser des emballages chez eux.
Mais qu’en est-il des ménages modestes, des enfants, des personnes handicapées, âgées ou sans domicile fixe – entre autres – qui pourraient être exclus de ce système s’ils n’ont pas accès à un smartphone (avec une application spécifique pour la consigne numérique) et à un compte bancaire. En Flandre, en 2021, 46% de la population n’avait pas de “compétences numériques de base”. Donc pour 1 habitant flamand sur 2, ce système numérique serait inaccessible.
Des home scanners sont proposés comme alternative aux smartphones. Cependant, ils ne conviendraient pas à la consommation nomade “on-the-go”, ce qui exclurait les personnes n’utilisant pas l’application pour smartphone d’une large partie du système. En outre, il n’est même pas certain que les utilisateurs à moindre capacité numérique soient en mesure d’utiliser ces scanners. De nombreuses étapes d’enregistrement nécessitant des compétences numériques seraient encore nécessaires (voir diapo 14), comme la création d’un profil sur le site web de la consigne numérique ou la connexion d’un compte bancaire. La question est également de savoir si ces home scanners doivent disposer d’une connexion internet active pour fonctionner, ce qu’un ménage sur dix (jusqu’à 31 % pour les ménages de plus de 65 ans) ne possède pas en Belgique. Testachats, en réaction à l’annonce de la ministre flamande, a indiqué être opposé à la proposition de consigne numérique, car elle “exclut les gens” et que les personnes sans smartphone seraient “victimes” d’un tel système.
Confidentialité des données
Avec la consigne numérique, les consommateurs devraient partager leurs informations personnelles (par exemple, en indiquant leur nom et leur adresse pour ouvrir un compte, en liant un compte bancaire, en partageant leur géolocalisation). Outre la question de la capacité, cela soulève la question de la confidentialité des données et de la volonté des consommateurs de fournir ces informations. L’industrie devra prouver qu’elle est en mesure de prévenir efficacement toute utilisation abusive actuelle et future du système (“function creep“) et qu’elle peut empêcher toute cyber-attaque (par exemple, le piratage du système pour voler des informations personnelles ou les codes 2D uniques pour ensuite les distribuer ou les vendre).
Avec une consigne classique, tout le monde peut récupérer sa consigne en rapportant les emballages dans les magasins de détail[9], sans avoir à partager aucune donnée. Il existe également des solutions pour les personnes qui ne peuvent pas se rendre dans ces points de vente, comme les services de livraison qui reprennent les emballages consignés à la livraison.
Fraude
Avec une consigne numérique, la valeur de la consigne serait liée au code unique – et non à l’emballage. Cela pourrait entraîner des risques d’abus, car les utilisateurs pourraient essayer de récupérer leur argent en scannant le code 2D sans se débarrasser “correctement” de l’emballage.
Par exemple, les consommateurs pourraient désactiver le code pour récupérer leur consigne de leurs emballages fraîchement achetées a) dans la “poubelle bleue publique” la plus proche du supermarché où ils ont acheté les emballages ou b) dès qu’ils rentrent chez eux après avoir fait leurs courses. Les consommateurs pourraient alors récupérer leur consigne, sans même avoir consommé la boisson. Les emballages pourraient alors encore finir dans la nature. Ces problèmes sont déjà apparus avec le Click[10] dans les rues (RTBF, 2022). Il est important de noter que cela ne viendrait pas seulement d’utilisateurs mal intentionnés, mais aussi de consommateurs honnêtes qui se retrouvent devant des poubelles publiques pleines au moment de jeter leurs emballages.
Un autre risque serait que des personnes prennent des photos de tous les codes uniques présents dans une allée de supermarché, attendent quelques jours – que l’emballage soit vendu et le code activé – puis scannent la photo du code 2D pour récupérer la consigne. Cette prise de photos en masse pourrait également se produire sur la chaîne de production.
La cyber-attaque mentionnée ci-dessus est également une forme de fraude, par laquelle certains ou tous les codes uniques pourraient être divulgués illégalement, menaçant l’ensemble du système.
3) Opérationnalité : quand une consigne numérique serait-elle prête à être mise en oeuvre?
Finalement, nous passons en revue ci-dessous certains éléments sur lesquels la recherche et l’innovation technologique doivent encore avoir lieu ou être développées avant de pouvoir imaginer introduire une consigne numérique. À noter qu’il pourrait y avoir d’autres facteurs que nous ne pouvons pas prévoir maintenant, mais qui apparaîtraient lors du développement de la consigne numérique.
Impression et activation de codes 2D uniques pour tous les producteurs et commerçants
Au cœur du système de consigne numérique se trouve l’attribution d’un code 2D unique (sérialisé) sur chaque emballage. Plus précisément, l’étude de PwC opte pour les codes 2D de type Data Matrix, une alternative aux QR codes. Ces codes ont l’avantage de pouvoir être imprimés dans une taille plus petite que les QR codes car ils contiennent moins de données. Cependant, la plupart des smartphones n’ont pas la fonctionnalité intégrée dans leur caméra pour scanner les codes Data Matrix, une application tierce est donc nécessaire pour lire ce code[11].
Si l’impression de codes 2D uniques est techniquement possible sur des étiquettes qui sont ensuite appliquées sur un emballage (par exemple pour une bouteille en plastique ou en verre), il est beaucoup plus compliqué de le faire directement sur l’emballage, sans coûts d’adaptation importants et sans perte de vitesse.
Dans le cas des canettes par exemple, il n’est pas possible à ce stade de réaliser une telle impression sans une perte de vitesse significative sur de nombreuses lignes de production (ce qui entraîne une augmentation du coût par unité produite)[12].
L’étude de PwC mentionne des coûts d’adaptation substantiels allant de 1 à 11 millions par producteur (diapo 12), ce qui est d’ailleurs une fourchette très large. Ce chiffre ne tient pas compte de la différence de coût structurel pour les petits producteurs. Ils pourraient avoir des coûts plus élevés par unité, car ils ne bénéficient pas des économies d’échelle ou des machines d’impression avancées auxquelles les grands producteurs ont plus facilement accès. Aussi, il n’est pas possible à ce stade d’inclure un code 2D unique sur les emballages de boissons sans augmenter considérablement les coûts de production. On ignore encore quel serait alors l’impact de cette augmentation des coûts de production sur le prix pour les consommateurs.
De même, la question des produits fabriqués dans d’autres pays doit encore être abordée : comment les inclure dans le système de consigne ? Pour les canettes par exemple, il se pourrait que les importeurs doivent soit dépendre de quelques producteurs qui ont fait des investissements dans de nouvelles technologies (toujours à une vitesse de production inférieure), soit arrêter de vendre sur le marché belge. Cela soulève la question de savoir si la consigne numérique serait conforme au marché unique européen. D’ailleurs, s’agissant des codes 2D simples, le GS1 – organisme mondial normalisant les méthodes de codage – évoque une généralisation des codes 2D uniquement à l’horizon 2027 – cela pour des codes 2D génériques et non uniques par produit. GS1 mentionne d’ailleurs les nombreuses barrières encore présentes dans la normalisation de ces codes.
Les problèmes liés aux codes 2D ne sont pas seulement liés à l’impression du code unique, mais aussi à son activation dans les magasins. L’étude de PwC (diapo 13) indique que les codes 2D seraient activés aux caisses des magasins ou à des ‘check-out’. Mais qu’en est-il des zones de ‘self check-out’ ? Le consommateur doit-il activer le code lui-même ? Et que se passe-t-il s’il ne le fait pas ? Qu’en est-il également des emballages vendus chez des revendeurs ? Par exemple, un magasin de nuit qui achèterait des emballages de boissons. Comment s’assurer que l’activation n’a pas lieu trop tôt, augmentant ainsi les possibilités de fraude mentionnées précédemment. Ce point doit être approfondi pour éviter les problèmes d’activation entre les détaillants et les revendeurs.
Dépendance sur les municipalités pour les poubelles dans les espaces publics et les home scanners
La proposition actuelle de consigne numérique par l’industrie propose l’ajout de “poubelles bleues publiques” à l’extérieur des supermarchés (principalement des poubelles ouvertes classiques de couleur bleue, ainsi que quelques 138 poubelles “intelligentes”). Cela nécessiterait d’utiliser des espaces publics supplémentaires (parcs, centres-villes, zones commerciales). L’implication et le soutien des municipalités sont donc essentiels pour toute la partie “on-the-go” du système (voir diapo 40). Aux Pays-Bas, les municipalités et les intercommunales de gestion des déchets ont vivement protesté lorsque l’industrie a envisagé de collecter les canettes consignées dans l’espace public.
La fédération des municipalités flamandes Vereniging van Vlaamse Steden en Gemeenten (VVSG) a averti que “si un système de consigne est introduit, le coût total de ce système devrait incomber aux producteurs. En aucun cas, les collectivités locales ne doivent être responsables des coûts supplémentaires engendrés par un système de consigne. VVSG n’est pas favorable au scénario où la reprise se fait principalement par le biais du domaine public et où la responsabilité incombe aux collectivités locales” (VVSG, 2022).
La dépendance à l’égard des municipalités ne s’arrête pas au simple placement d’espaces publics supplémentaires. L’étude PwC suggère qu’elles pourraient également être responsables de “l’enregistrement et de la distribution” des home scanners aux ménages (diapo 14). Les municipalités pourraient également être responsables de la gestion des comptes des utilisateurs, par exemple pour “gérer les déménagements des citoyens” (diapo 52). Là encore, cela fait peser une charge supplémentaire sur les municipalités, ce qui n’est pas nécessaire dans le cadre d’une consigne classique.
Investissements dans l’infrastructure spécifique aux systèmes de codes 2D
Les systèmes de consigne classique disposent déjà d’un système back-end robuste et fonctionner. Ce système est en place dans de nombreux pays, fournissant des exemples des systèmes les plus performants. Avec une consigne numérique, de nouvelles recherches et de nouveaux investissements spécifiques sont nécessaires pour rendre l’ensemble du système opérationnel.
Par exemple, un système informatique plus complexe est nécessaire pour stocker le numéro de série unique de chaque emballage, permettre l’échange de la consigne à chaque utilisateur sur son compte et limiter la fraude. On ne sait pas combien de temps il faudra pour que ce système soit opérationnel – s’il peut l’être – et à quel coût. Ces coûts ne sont pas seulement financiers mais aussi environnementaux : des inquiétudes ont été exprimées quant à l’impact environnemental d’un système informatique back-end de cette envergure. Son impact sur l’environnement en termes de consommation d’énergie sera nécessairement plus élevé que la structure existante requise pour la consigne classique.
Pour illustrer la complexité potentielle du système, prenons l’exemple de la fraude. Pour prévenir la fraude, il pourrait être nécessaire de procéder à un troisième scan[13] des emballages dans les centres de tri, afin de confirmer que les emballages ont bien été collectés. Cela nécessiterait des investissements importants et du temps pour adapter les infrastructures existantes. Ces investissements sont inutiles avec une consigne classique et donc des coûts éventuels supplémentaires à prendre en compte.
Conclusion
Une fois que la consigne numérique aura été développée et testée correctement, certaines fonctionnalités pourraient être ajoutées au système de consigne classique pour améliorer les gains environnementaux que la consigne classique apporte déjà. Toutefois, cela prendra encore des années car la technologie n’est pas encore prête[14]. Au-delà de la simple faisabilité du système, de nombreux doutes subsistent quant aux impacts réels de la consigne numérique – notamment par rapport à la consigne classique, pour laquelle ces impacts sont vérifiés dans la pratique.
Avec l’introduction d’un système de consigne sur toutes les bouteilles et canettes en plastique en Belgique prévue pour 2025, et après des années de tentatives infructueuses de l’industrie pour réduire les déchets sauvages de manière significative, la Belgique a besoin de toute urgence d’un système qui soit accessible à tous, réduise efficacement la quantité d’emballages présents dans les déchets sauvages, et encourage un recyclage de haute qualité, ainsi que le réemploi. Le système de consigne avec retour en point de vente est le seul système qui a prouvé qu’il répondait à ces problèmes. Il est donc improbable que la consigne numérique fasse ses preuves, en 2023, en tant qu’alternative viable et souhaitable pour une mise en place en 2025.
- Voir PwC, DDRS Blueprint – Rapport consolidé, 27 Sept 2022, diapo 51 ↑
- Voir présentation du Système Norvégien (Infinitum), discours de la direction ↑
- Car la consigne numérique n’a jamais été mise en place jusqu’à présent. Seuls quelques pilotes à petite échelles ont eu lieu au Royaume-Uni. ↑
- Basé sur des exemples dans d’autres pays européens (voir Reloop Global Deposit Book pour les dates) ↑
- Voir étude PwC, diapo 152, à noter que le pilote de Whitehead n’était pas un pilote de consigne mais de système de récompense ↑
- CE Delft, 2017. Kosten en effecten van statiegeld. Commandé par le gouvernement néerlandais ↑
- Zwerfinator, 2022. Onderzoek Drankverpakkingen 2017-2022H1 ↑
- Eunomia, 2022. Deposit Return in the Netherlands: An assessment of the Afvalfonds proposal for beverage can collection in the public domain ↑
- À noter que la plupart des consignes avec retour en point de vente ont une obligation de reprise, afin que les consommateurs puissent rapporter leur emballages consignés dans tous les points de vente (à l’exception des petites enseignes). ↑
- Système de récompense testé par Fost Plus. ↑
- Voir ResourceFutures, 2022, Digital DRS Feasibility study Phase 1, p11 ↑
- Basé sur l’étude PwC et des informations en provenance de producteurs de canettes. ↑
- Voir Resource Futures (Juin 2022), D-DRS Feasibility Study – Phase 2: End-to-end system design, slide 10 ↑
- Voir Resource Futures (Juin 2022), DDRS Feasibility Study, Phase 2: End-to-end system design ↑